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Ancien malade des hôpitaux de Paris
Ancien malade des hôpitaux de Paris

Olivier Saladin n’est pas raisonnable, et ce lad insane, comme aurait pu le qualifier David Bowie, ce fol acteur nous inonde de plaisir et fait notre joie. Dans « Ancien malade des hôpitaux de Paris », une nouvelle de Daniel Pennac, il excelle dans l’art de la caricature et de l'ironie, à partir d’une nuit tragique aux urgences. Une seule nuit, et c’est la vie qui bascule, suite à une avalanche de quiproquos et de parodies. Olivier Saladin se révèle extraordinaire et spectaculaire, endossant le rôle du patient, de l’interne urgentiste, de l’assistante d’accueil, de la cardiologue, de l’urologue, du gastroentérologue, du pneumologue, du radiologue, du gynécologue … Oups ! Le patient est de sexe masculin.

Issu d’une famille où la médecine se transmet en héritage, « première des maladies héréditaires », notre protagoniste, interprété avec brio par Olivier Saladin, n’a pas eu d’autre choix que de s’orienter vers le corps hospitalier. Où est-ce la confortable hospitalité de l’hôpital qui s’est chargée de son orientation professionnelle ? Toujours est-il que, lorsqu’il nous raconte son histoire, ce 22 mars (ou le 23 ou le 24, ou le jour où vous irez, pair ou impair, puisqu’il s’adresse à chacun de nous en personne), il revient sur cette fameuse nuit, celle du 22 mars 1985 (ou du 23 ou du 24…) qui a décidé de son destin. Notre homme est urgentiste des hôpitaux de Paris, à quelques jours de prêter serment d’Hippocrate. La fonction publique hospitalière est décidément très à la mode : à ne pas négliger… En un mot comme en mille, notre héros est fier de prendre en charge les « maux de tous les hommes ». Il se dévoile pudiquement, tout en litotes, économe du mot et de l’adjectif, comme « le champion de la médecine interne ». Sobre, pas cabotin pour un stéthoscope recyclé. Naaan : je rigole !

Son Grand Projet, qu’il expose avec force grandiloquence : une carte de visite gravée. Mentionnant un titre, en acronyme aussi pompeux qu’interminable. Pour l’heure, il est « premier urgentiste du monde ». Les fameux Dr Ross ou House à côté ? Des ringards. Pitres effroyables.

En cette nuit du 22 mars 1985, de pleine lune, ce qui est rarement d’un augure favorable, comme il réfléchit aux lettres gravées qui orneront sa carte de visite, dont la texture du papier le tourmente, notre brillant médecin prend en charge un patient dont le diagnostic va mobiliser tous les corps de médecine concentrés dans cet hôpital. Un cas singulier qui l’importe moins que cette fameuse carte de visite, sésame absolu de réussite sociale. Bref, c’est à un « merdaillon » que nous avons affaire, un merdaillon de l’APHP, un merdaillon de la carte gravée, emblème d’une carrière de fonctionnaire. Un merdaillon, peut-être, mais un merdaillon savoureux.

Il ausculte le malade. Seule les « palpitations de ses narines, plus mince que le papier d’Arménie », semblent le surprendre. Au début. Car notre malade va développer une somme de symptômes illisible, et notre héros urgentiste aura beau courir de service ambulatoire en salle de scanner, traversant les couloirs à bride abattue, sur un « lino de la vie » trop ciré à coups de « serpillères approximatives », avec son « chapelet de questions existentielles », le colon du malade demeurera mutique, en dépit des déformations dont aucune ne nous sera épargnée. Pas davantage la douleur stupéfiante qui s’emparera de ce corps bleui. « Tant que vous n’êtes pas mort, la douleur vous rattrapera, où que vous vous trouviez ». Bref le cas s’amplifie, toutes proportions se déchirent, au point, pour notre urgentiste, de vouloir « rendre son caducée comme les flics remettent leur plaque dans les films ».

Impressionnant la somme de pensées exogènes, incongrues et farfelues qui nous traversent l’esprit en situation d’urgence ! Réfléchissez-y, vous ne pourrez qu’acquiescer. Un esprit ivre dans un corps en crise, comme un révélateur de la personnalité tapie au fond de notre être. Ce nous qui s’ignore et surgit par une nuit de pleine lune comme un typhon. Une déflagration, au son d’une musique aborigène. Le son des tam-tams envahissent. La lumière réfléchissante éblouit, projetée depuis le mur de l’hôpital en fond de scène, et créée des ombres impressionnantes. L’ensemble se propage et : le choc. Notre homme, pour qui la médecine était une vocation, qui voyait dans les ponctions lombaires la couleur jaune soleil s’infiltrer dans l’aiguille, ce jaune soleil comme la vie lumineuse, va se réviser. Or donc, cette nuit de pleine lune, ce sont davantage les « odeurs organiques » pestilentielles qui vont prendre le dessus, supérieures même aux odeurs des produits détergents. Face à ce patient, véritable « encyclopédie vivante du malade », personne, pas même « Saint Augustin sous son bosquet », personne n’y pourra rien. Que restera-t-il du rêve identitaire de notre médecin à l’issue de cette nuit, qu’il juge utile de nous raconter 30 ans, jour pour jour, après ? Jusqu’au dernier souffle sur scène, rien ne sous sera ménagé, aucune surprise, aucun temps mort, aucune extravagance, le rythme est effréné, la cadence infernale, les enchaînements frénétiques. On frôle l’apoplexie. C’est ubuesque et jouissif. Olivier Saladin nous a injecté des séries de particules « d’atome de Coluche » .

A l’issue de cette nuit trépidante comme le galop d’un cheval enragé, nous voilà exsangue. Les maxillaires démantibulés et le ventre tordu de crampes, le maquillage détrempé sur nos joues, nous tentons de reprendre apparence humaine. Mais Olivier Saladin ne nous en laisse pas le loisir. Aucun répit. Il bondit tel un cabri, leste et agile, pas le moins du monde essoufflé. Hop : il rejoint les coulisses. Sa garde est terminée aux urgences de nuit.

Faites coïncider l’imaginaire exalté de Daniel Pennac et le sens de la démesure d’Olivier Saladin, et vous obtenez une pièce délicieusement originale, jouissive et inventive.

Au théâtre de l'Atelier jusqu'au 6 juin.

Tag(s) : #Théâtre
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