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 Patti Smith au Théâtre de la Bastille pour la sortie de « M Train » chez Gallimard

Le destin tout de même … Patti Smith à Paris, en France, au moment où le mouvement #NuitDeboutPartout s’impose. « People have the power » chantait l’icône punk en 1988. Sur les humbles / la pluie de grâces / C'est décrété / le peuple règne / Le peuple a le pouvoir … Patti Smith est l’une des figures d’une révolution : esthétique et poétique, célébrée par la Beat génération ou #The Velvet et, définitivement, l’on se dit que la culture permet au monde de se renouveler, de s’exprimer pour défendre des idées, de se projeter et d’agir. Oui, le peuple a le pouvoir. Il y a cette autre chanson éloquente « Because the night », qui date de 1978. Parce que la nuit appartient aux amants / Parce que la nuit appartient au désir / Parce que la nuit nous appartient… Comme si la nuit, tout devenait plus clair.

M Train

Patti Smith est à Paris pour la promotion de son nouveau livre M Train, paru chez Gallimard. « Un voyage de l’esprit, une déambulation, un vagabondage en dix-huit stations », explique Patti Smith, invitée au Théâtre de la Bastille face à une salle comble. Près de 300 personnes sont invitées, toutes générations confondues. Devant moi, un petit garçon de 6 ans, qui connaît bien Patti Smith et qui est très ému. Lui, il est fan de « Because de night ». Si jeune et déjà conquis pas le sentiment amoureux, exacerbé la nuit.

« M Train, c’est un état d’esprit. Je l’ai écrit dans une sorte d’euphorie épuisée après la publication de Just Kids, dont l’aventure avait démarré avec un éditeur et s’était achevée avec un autre. Just Kids, je l’ai écrit car je l’ai promis à Robert Mapplerthorpe. Il me l’a demandé la veille de sa mort. Just Kids est écrit en hommage à Robert, à cette jeunesse vécue ensemble, et à New-York City. Comme un devoir, j’avais des responsabilités en écrivant Just Kids. C’était aussi ma première non-fiction. J’ai voulu écrire quelque chose de tout à fait différent avec M Train : juste un voyage de l’esprit, sans intrigue. On se laisse guider par notre esprit, on voit où il nous conduit ». M … comme Mind.

Force est de constater que les circonvolutions de l’esprit de Patti Smith hypnotisent. L'auteur nous promène entre passé et présent, rêve et réalité, fiction et vérité ; Elle entrelace ses souvenirs et ces signes qui se trouvent sur sa route, tout fait écho, résonne et s’accorde, produit des analogies étonnantes. Elle nous entraîne à la rencontre des amours de sa vie et de ses mentors, dont la plupart sont disparus. A priori cela peut sembler confus, ou diffus, cependant il existe un fil conducteur ténu, dont on ne s’éloigne pas. L’écriture est extraordinairement soignée et élégante (un côté suranné parfois renforce ce sentiment : transistor, flirt...), le style limpide et les errances divines, ponctuée de ses fameuses Pola, qui figent un instant, un décor, un objet. Son univers littéraire exhale une langueur et une lenteur bienfaisantes. Ses photos tout aussi éloquentes que ses mots. « En écrivant M Train, j’ai souhaité rester dans le présent, après avoir traversé le passé pour Just Kids. Cela est impossible, car on bouge, une idée, une rencontre, un détail appellent la ressouvenance, les rêves deviennent des prémonitions, en sorte que finalement, M Train est constitué de ma trinité : passé, présent, futur ».

Littérature

Ce qui fédère l’ensemble est le café. Le café, le lieu. Le café, la boisson, dont elle révèle qu’il s’agit « d’une addiction, et qu’on peut bien avouer une addiction tout de même ! ». Elle est capable d’en boire quatorze tasses par jour et, ce détail, j’ignore s’il surgit de ses propos ou de son livre, car Patti Smith est tellement entrée en littérature que tout se confond.

Il s’agit bien de littérature, au sens où Camus l’entendait. Une patrie. D’ailleurs Camus est l’un de ses inspirateurs, comme Genet, Sarrazin, Plath, Pasternark, Artaud, Rimbaud « my only french boy-friend », avoue-t-elle en riant, la philosophe Simone Weil, qu’elle vient de découvrir, Patrick Modiano, qu’elle lit en ce moment. M … comme Modiano ?

Patti Smith ne répond pas, y réfléchit et acquiesce en souriant. Elle précise néanmoins que l’univers de Patrick Modiano est envoûtant :« En expansion continue de livre en livre, comme les haltes d’un train, avec des personnages que l’on retrouve quelques stations plus tard, qui sautent d’un livre à l’autre station. Une construction qui me rappelle celle de 2666 de Bolano ». Et à moi, celle de David Bowie, stationtostation.

Elle voue un culte à la littérature, française en particulier. Beaucoup de ses auteurs fétiches ont connu l’enfermement. De cela elle explique : « J’aime la littérature de qualité, peu importe qu’elle soit écrite en prison ou aux toilettes. C’est une atmosphère qui compte. La grande littérature surgit n’importe où ». La France l’inspire, cela est une certitude, et son séjour actuel la conforte : « En France, je suis considérée comme un écrivain, et les rencontres que j’ai faites ces jours-ci m’ont convaincues de poursuivre, et d’écrire la suite de Just Kids, une démarche –holistcly. Merci Paris. » M … comme Merci.

La suite de Just Kids ? « Oui, la sœur de Just Kids, qui était le frère. Je souhaite prolonger et revenir sur la religion : mon rejet puis ma foi, la vie publique, mon époux, le rock’n’roll, les arts. » Rien à voir avec un M Train, reflet d’une vie introspective, qui n’aborde nullement la Patti Smith chanteuse : « M Train ne parle pas de ma carrière rock’n’roll, il s’agit d’une immersion en moi, ce livre traduit qui je suis au présent, et je ne me lève pas chaque matin en me disant que je suis une rock star ! ». Et pourtant Patti Smith est le trait d’union entre une littérature française et européenne, et le rock’n’roll américain, deux cultures, deux continents dont elle tresse le meilleur assemblage.

M Train, un livre qu’elle a dédié à Sam Shepard. Just Kids évoque la mémoire de Robert Mapplerthorpe, Glaneur de rêves : son enfance et sa famille, et M Train : Sam Shepard. Et Fred Sonic Smith, son époux, l’homme de sa vie ? « Fred est partout avec moi. Je lui ai dédicacé ma musique, nous avons composé ensemble, écrit des albums, Wave en particulier lui est consacré, toutes mes paroles de chanson lui sont offertes, Fred fait partie de moi. Il revient dans mes livres aussi. Il est indissociable de ce que je suis, de qui je suis. Il n’a pas besoin d’une dédicace particulière ; Et puis Sam Shepard est mon ange gardien, et il est vivant, or j’avais besoin d’écrire pour quelqu’un de présent ». Car M Train se situe beaucoup dans les cimetières : « J’aime ces endroits, on y développe une forme de reconnaissance et de respect en visitant les morts, en se recueillant sur les tombes. Je vais régulièrement remercier les personnes qui m’ont inspirées, il s’agit d’un moment de contemplation hors du temps. Il m’arrive aussi de croiser des tombes qui me font réfléchir : la tombe de cette jeune fille de 20 ans, qui vouait une passion aux chevaux m’a émue, récemment. J’ai pensé à sa vie, ce qu’elle ne connaîtrait pas. C’est se souvenir, c’est aussi un moment de partage, une expérience humaine, même si vous ne connaissez pas les gens. Il se produit un échange de vie, de cœur. » M … comme Mémoire.

Influences

Trois figures émergent en particulier. William Burroughs : « Il m’a appris à me placer dans le monde. Il m’a appris la dignité et la prestance. Il me disait : Keep your name clean, it will build for all your life. Il avait raison : il est essentiel d’entretenir son nom, sa personnalité et de veiller à sa réputation, qui permet de construire une existence non dévoyée, sans trahison, sincère ». Allen Ginsberg : « Allen m’a appris comment étudier, comment se projeter pour toucher le public, il m’a appris à parler, à lire la poésie, lui qui était tellement studieux. Il m’a appris Walt Whitman, William Blake. Il m’a aussi enseignée la compassion, il se montrait à l‘écoute de la condition humaine ». Sam Shepard : « Sam m’a appris l’improvisation et le courage. Il disait que quand on improvise, on ne commet aucune erreur, comme en Jazz. Il m’a appris l’indépendance aussi. Nous avons écrit une pièce de théâtre ensemble, il commençait, me passait les feuillets pour que je poursuive, sans plan, et cela fonctionnait. ». D’ailleurs Sam Shepard émerge d’un rêve et introduit M Train. Il lance un défi à Patti Smith : « Ce n’est pas facile d’écrire sur rien ».

Ecrire sur rien, c’est une philosophie selon Patti Smith : « C’est se montrer disponible aux aléas de la vie, aux opportunités, au destin, aux signes, mais c’est aussi agir. Avoir confiance en soi et se laisser porter et emporter par les autres. » Elle cite une réplique de Lawrence d’Arabie : « Tout est déjà écrit ! -Oui, mais parfois c’est nous qui écrivons ». Patti Smith est attentive aux signes, elle se révèle attentive tout court. Sans doute est-ce cette disponibilité d’esprit, cette écoute particulière que lui ont appris les cafés qui ponctuent chaque arrêt de M Train : « Le café, à l’origine, est un lieu romantique, même si tous les cafés cités dans M Train ont aujourd’hui disparu, comme leur aura. Il n’est plus possible de flâner dans les cafés, d’écrire, de lire des heures, de laisser son esprit vagabonder, de contempler. A présent, les gens viennent téléphoner, travailler, signer des contrats, ils s’emportent envers un interlocuteur Fedex qui n’a pas assuré sa livraison. Les cafés ne sont plus des endroits de richesse intellectuelle, il n’est plus possible de s’y sentir seule parmi la multitude, comme un refuge pour écrire, devant un café qui refroidit. » M … comme Moka.

Se projeter

Patti Smith vit en solitaire, avec ses feuillets épars. Elle ne cesse d’écrire, depuis les années 1980. Chaque jour. « Il est temps aujourd’hui de mettre de l’ordre dans ces pages, de me recentrer autour de l’écriture, je souhaite consacrer la prochaine décennie à écrire, dans ma solitude. Je vais cesser mes autres activités au profit de l’écriture, il est trop difficile de s’appliquer lorsque l’on s’exprime à travers différentes formes artistiques, comme le dessin, la photographie, la musique, les arts visuels. J’ai connu Robert Maplerthrope il y a 50 ans. Je suis encore là et j’ai enterré tellement de personnes chères. J’ai beaucoup écrit sur le passé et mes morts, mais cela pèse, isole. Aujourd’hui je veux me projeter, que mon écriture tende vers le futur et quelque chose de lumineux, même si je suis consciente qu’inévitablement le processus me renverra vers le passé. Je suis prête, à l’affronter ».

Bonus Track : les séries télévisées

M Train c’est aussi une facette inconnue et improbable de Patti Smith. Accro aux séries télé, en particulier policières : « Dans les années 70, Robert et moi nous n’avions pas la télévision, et j’ignorais les séries. J’avoue qu’aujourd’hui je suis fascinée par les -detective stories. Les détectives ou les flics qui mènent les enquêtes ont une mission, ils en deviennent obsessionnels, c’est excessif. Le suspense est soutenu jusqu’à l’illumination, l’extrême seconde, il tient en haleine. Le détective est le poète d’aujourd’hui ».

Patti Smith, c’est une silhouette qui traverse le temps. Des cheveux longs et brousailleux. Pas une once de maquillage. Un bonnet. Une paire de jean's et des godillots. Un manteau ou une veste d’homme, des tee-shirts. Des chaussettes avec une abeille. Un café, dans un café. Le rêve et la réalité. Le temps fictionnel et le temps réel. « Aria pour un manteau (…). Requiem pour un café ». M Train se lit comme un rêve qui nous entraîne sur tous les continents, à la conquête d'une femme épatante et droite, et ... de soi. M … comme Madame sMith, M ... comme Moi, M … comme Multiples.

M Train, Patti Smith, 259 pages, 18 stations et 53 illustrations. 16, 50 euros chez Gallimard.

Organisé au Théâtre de la Bastille avec lalibrairie.com et Lesincrocks

Polaroïds de la rencontre au Théâtre de la Bastille
Polaroïds de la rencontre au Théâtre de la Bastille
Polaroïds de la rencontre au Théâtre de la Bastille

Polaroïds de la rencontre au Théâtre de la Bastille

Tag(s) : #Litterature, #EVENT
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